Les mystères de Pi

Ami ou ennemi ?

Pi représente pour beaucoup l’une des premières incompréhensions liées aux maths : la division à peine maîtrisée, voilà Pi qui surgit de nulle part avec l’étude du cercle. Et Pi est notre premier contact avec une lettre grecque (sauf si on se fait régulièrement traiter de bêta).

Rencontre qui peut marquer le début d’une défiance envers les mathématiques, puisqu’en général, on aime comprendre ce que l’on fait.

  • Valeur : 3,14 ; pourquoi ?
  • Nombre de chiffres après la virgule : une infinité (comment peut-on le savoir ?) ;
  • Pi est lié au cercle (pourquoi ?) et nous a embêté toute notre enfance avec le fameux 2πR voire πR2 (sans parler de la sphère) ;
  • des gens bizarres s’amusent à apprendre par cœur des tas de chiffres après la virgule (le record serait de 83 431).

Il s’agit pourtant de notre premier contact avec les « vraies » mathématiques… Précédemment, tout est calcul : primordial, mais bête et méchant.

Soudain arrive Pi, l’un des plus grands mystères des mathématiques, sinon de la Nature, qui fascine les chercheurs depuis des millénaires.

Les présentations sont donc (parfois) mal faites. On aurait pu mieux nous préparer à pareille rencontre.

Comment se familiariser avec Pi ? En dessinant pou rl’approximer par exemple : manipuler les maths dès le plus jeune âge est très important.

Tracer un cercle, son diamètre ; caler une ficelle sur un objet cylindrique ; la déplier, la mesurer et la rapporter au diamètre : le pourtour du cercle sera toujours 3 fois supérieur à son diamètre ; 3,14 fois pour être précis ; Pi, pour être exact.

Histoire du nombre Pi

Côté Histoire, les anciens encadraient l’aire du cercle à l’aide de polygones.

Environ 2000 ans avant notre ère, les babyloniens estimaient déjà Pi à 3,12. Égyptiens, chinois, indiens, perses… Toutes les grandes civilisations ont œuvré à estimer Pi.

À partir du XVIIe S., Pi est estimé à partir de calculs infinis.

Il aura fallu plus de 2000 ans aux plus grands esprits pour comprendre deux facettes fascinantes de Pi :

·      c’est un nombre irrationnel (on ne peut le représenter par une fraction, mais 22/7 n’est pas si mal) ;

·      c’est un nombre transcendant (il n’est pas solution d’une équation).

Cette infinité de chiffres après la virgule demeure un mystère : leur répartition est chaotique, il est pour le moment impossible d’identifier un schéma de répétition dans ces décimales. On en a pourtant analysé des milliards… Pi est un nombre « univers » (on peu retrouver toute combinaison de nombres dans ses décimales).

À croire que certaines choses doivent rester inaccessibles à notre entendement.

Cet état de fait illustre également que le calcul de Pi ne sera jamais exact, alors qu’il peut être appréhendé théoriquement.

Faut-il connaître 60 décimales de Pi ?

Relativisons : en pratique, quelques décimales suffisent à construire de très beaux bâtiments… Les astrophysiciens de la NASA (qui aiment la précision) calculent les trajectoires des vaisseaux spatiaux avec 3.141592653589793. Pour des milliards de kilomètres.

Appliqué au tour de la Terre, cela représente une imperfection de la taille d’une molécule.

Pi et le hasard

Au fait, pensiez-vous que la présence de Pi impliquait nécessairement celle d’un cercle, quelque part ?

Pas toujours, puisque Pi est largement présent en probabilité, c’est-à-dire dans… le hasard.

Quelques exemples :

·      lancer au hasard (expérience de l’aiguille de Buffon) : soit un beau parquet avec des lattes en bois ; et plein d’aiguilles, dont la longueur égale la largeur des lattes du parquet… lancez au hasard ces aiguilles sur le parquet : la probabilité qu’une aiguille coupe le bord d’une latte serait de 2/π ;

·      plus abstrait : la probabilité (les chances) pour que 2 nombres entiers choisis au hasard soient premiers entre eux (par ex. 6 et 35 sont premiers entre eux, mais pas 6 et 27 car tous deux divisibles par 3) est égale à  6/π2  ;

Pi est présent dans la « loi normale » ou « loi de Gauss », qui est par excellence la loi retenue pour modéliser le hasard ; cette loi est la plus utilisée des lois de probabilité.

Pi tient aussi un rôle dans les atomes qui nous composent, car Pi intervient dans l’un des piliers de la physique quantique : le principe d’indétermination d’Heisenberg (oui, le même auquel se réfère Walter White dans Breaking Bad).

Les êtres vivants

Pi est également actif dans le développement d’un être vivant, depuis la cellule jusqu’à un organisme extraordinairement complexe (morphogenèse) : l’espacement, la taille des rayures des zèbres (et d’autres animaux) sont régis par Pi.

Plus généralement, Pi est présent dans le codage des motifs (taille, espacement), y compris hors du domaine de la biologie.

Pi est donc non seulement présent dans le hasard, mais aussi dans le déterminisme.

Battements cardiaques, cycles respiratoires, rythme de la division cellulaire, rythmes circadiens: Pi est présent dans des phénomènes périodiques des êtres vivants.

À défaut d’être votre pire cauchemar, Pi rythme donc votre sommeil.

Ça n’est pas terminé : la trajectoire des cours d’eau est également à la merci de Pi. Le ratio de sinuosité, à savoir le rapport entre la longueur totale d’une rivière et sa longueur mesurée à vol d’oiseau, est… très proche de Pi*.

Plus généralement, Pi est impliqué dans tous les processus biologiques fondamentaux.

Conclusion

Pi est une constante universelle fondamentale de la Nature, présente dans tout l’univers et au cœur de la Vie : vous avez tout à fait le droit de vous en émouvoir ; aimez, considérez Pi ; acceptez sa part de mystère.


Sources :

Santiago Schnell – Pi Is Encoded in the Patterns of Life – article de blog paru dans The Biophysical Society

Théorie des nombres, théorème de Cesàro ; ENS Rennes : Probabilité pour que deux entiers soient premiers entre eux https://minerve.ens-rennes.fr//images/Dvt_proba_premier.pdf

California Institute of Technology, Jet Propulsion Laboratory: How many decimals of Pi do we really need ?

Hans-Henrik Stølum, revue Science : River Meandering as a Self-Organization Process

  • * Constat étonnant qu’Einstein fut le premier à soulever : couplant dynamique des fluides et théorie du chaos, il démontra la tendance des rivières à former des boucles. La moindre courbure engendre en effet une accélération du courant à son extérieur, augmentant l’érosion, amplifiant par là même la courbure. Jusqu’à ce que le chaos fasse se retourner soudainement le cours d’eau sur lui-même, formant ainsi une boucle. À juxtaposer ces boucles, les pourtours et distances de l’une à l’autre, on retrouve des cercles entiers et leurs diamètres, expliquant l’apparition de Pi.

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